(Re)(Dé)(A)politiser l’humanitaire ?
Jour et heure
Vendredi 31 Janvier, 14h15-15h45
Contexte et enjeux
Depuis la création du CICR au XIXe siècle jusqu’au « sans-frontiérisme » né en France dans les années 1970, l’action humanitaire a toujours entretenu une relation complexe avec le et la politique. C’est peut-être d’ailleurs dans le simple choix de cet article défini que se joue cette complexité, entre implication dans la vie de la cité, fut-elle internationale, ou engagement partisan. On a longtemps contesté le « pacte du silence » qu’aurait conclu le CICR au nom de sa neutralité. Certes, le mouvement humanitaire français a bouleversé les codes en revendiquant une approche plus engagée et en dénonçant les situations inacceptables dont ses acteurs étaient témoins. Mais il l’a fait – dans un premier temps – en endossant ce même principe de neutralité, avant de lui préférer celui d’impartialité. Comment se fait-il que non seulement cette question du rapport de l’humanitaire au et à la politique n’est toujours pas résolue, mais qu’elle est, peut-être plus que jamais, au cœur des débats ?
Problématique
Que ce soit dans les contextes de guerre, parfois même de catastrophes, ou dans le champ de leurs actions dans leur pays d’origine (France, Italie, Canada…), les ONG et les Sociétés nationales de Croix-Rouge/Croissant-Rouge sont – de fait – des acteurs politiques, même si elles se revendiquent comme non-partisanes. Pourtant, entre appels massifs à une forme de « décolonisation », voix montante des acteurs des Suds, fragmentation des lignes géopolitiques dans le monde et tensions sur les équilibres instaurés depuis fin de la Seconde Guerre mondiale, ces acteurs sont de plus en plus soumis à des injonctions contradictoires. Jugés trop politiques, ils sont sommés de se limiter à apporter de l’aide. Jugés trop prudents dans leurs prises de positions, ils sont sommés de « prendre parti ». Comment articuler l’impératif humanitaire d’assistance avec les changements de paradigmes profonds en cours à l’heure actuelle ?
Cette question soulève des enjeux fondamentaux :
– l’indépendance, la neutralité et l’impartialité des acteurs humanitaires,
– l’efficacité et l’accès aux populations vulnérables,
– la responsabilité morale face aux causes profondes des crises,
– la légitimité et la perception de l’action humanitaire,
– L’élargissement inédit du spectre des acteurs/décideurs de l’humanitaire, à la faveur de la montée en puissance des acteurs nationaux et locaux des Suds?
Les différentes approches en débat
1. La politisation/repolitisation
Arguments pour :
– nécessité de s’attaquer aux causes structurelles des crises,
– devoir de témoignage et de dénonciation,
– responsabilité de transformer les systèmes injustes,
– s’affirmer – aux côtés d’autres – comme acteurs de la société civile engagés pour la défense des droits individuels, du droit international, du DIH, de la démocratie.
Risques :
– instrumentalisation par les acteurs politiques,
– perte d’accès aux populations,
– compromis ou compromissions,
– perte de ressources financières (privées et publiques),
– poursuites judiciaires ou mesures administratives susceptibles d’aller jusqu’à la dissolution ou l’interdiction.
2. La dépolitisation
Arguments pour :
– retour aux principes fondamentaux (neutralité, impartialité),
– pragmatisme opérationnel,
– protection des espaces humanitaires, des personnels et des ressources financières.
Limites :
– risque d’ignorance des causes profondes,
– maintien du statu quo,
– prééminence d’une approche techno-bureaucratique.
3. L’apolitisation
Arguments pour :
– stricte séparation entre humanitaire et politique,
– focus sur l’urgence et les besoins immédiats,
– préservation de l’acceptation par tous les acteurs.
Critiques :
– naïveté face à la réalité des contextes d’intervention,
– inefficacité à long terme,
– impossibilité pratique de s’extraire des contingences politiques en situation de conflit ou de catastrophe.
Perspectives et pistes de réflexion
1. Une approche différenciée selon les contextes
– adapter le positionnement selon la nature, changeante, des crises,
– distinguer différents niveaux d’engagement politique,
– maintenir une flexibilité opérationnelle,
– initier une approche incluant les acteurs des Suds de manière systémique.
2. La recherche d’un équilibre
– articuler principes humanitaires et conscience politique,
– développer des partenariats stratégiques,
– renforcer la redevabilité envers les populations,
– mieux déterminer le rôle d’« insider/outsider » des acteurs humanitaires par rapport au Politique et aux politiques.
3. L’innovation dans les modes d’action
– explorer de nouveaux modèles d’intervention,
– renforcer le lien avec les acteurs locaux,
– intégrer une vision de transformation sociale.
Conclusion
Le débat sur le rapport de l’humanitaire au politique reflète la complexité des défis contemporains à la lumière des conflits particulièrement cristallisants tout comme de ceux qui échappent à l’attention médiatique. L’histoire et la nature des ONG et du Mouvement Croix-Rouge/Croissant-Rouge entrent sans aucun doute en ligne de compte, tout comme la professionnalisation que les organisations ont connue ces deux dernières décennies. Mais à la lumière des débats actuels récurrents, on peut se demander si le monde humanitaire ne vit pas – à cinquante ans de distance – un nouveau bouleversement avec une remise en question globale de la place et du rôle de ses composantes respectives.
Les intervenants
Modération :
- Janique THÖLE, Conseillère juridique en droit international humanitaire
Panélistes :
- Philippe DA COSTA, Président, Croix-Rouge française
- Sarah PRESTIANNI, Directrice du Plaidoyer, Euromed Rights
- Anouchka FINKER, Directrice Générale, Chaîne de l’Espoir et Vice-Présidente, Coordination SUD
- Pauline CHETCUTI, Présidente, VOICE
- Jean-François CORTY, Président, Médecins du Monde France